lundi 21 décembre 2015

[Andrea Ferraz] L'héritage des poètes maudits

L’héritage des poètes maudits

Peu importe si on est chrétiens, athées ou pagaïns, à partir du moment où on lit les oeuvres, les beaux poèmes des poètes maudits, on est obligé à s’emparer de prendre conscience de notre côté obscur, de nos angoisses et de nos faiblesses.

Les Fleurs du Mal (1857- prémière édition) c’est le chef d’oeuvre répresentant la lutte entre Dieu et Satan, entre l’aspiration vers l’Idéal et la beauté et la rencontre de l’ennui, de la détresse morale et du spleen. Le spleen, cette malaise moderne comme le stress et la dépression, apparaît au XIXe siècle avec la modernité et les changements que cette période emporte. Il exprime un péssimisme existentiel et la défaite de l’Idéal. C’est un état morbide. L’homme moderne est angoissé par le manque de sens dans la vie et du travail. Comme Baudelaire a écrit dans le poème Au lecteur, le monde est un enfer.

Si les naturalistes ont su dénoncer l’inégalité sociale et la misére matérielle et morale, les symbolistes ont su dénoncer l’hypocrisie et la désillusion, les maladies de l’esprit. Il faut être absolumment moderne... profiter des révolutions politiques, scientifiques et industrielles avec toutes les malaises qu’elles emportent, soient le stress, le spleen ou la dépression.

La poésie baudelairienne produit l’effet de nos attraper dans une sorte de piège délicieuse qui donne la sensation ambigüe de proximité avec le lecteur en même temps que produit la confrontation de la solitude. On est condamné à vivre comme dans une prision d’un enfer sans issue. Il y a la présence de l’hallucination, la pression du temps qui passe pendant qu’il ne peut rien faire.

Les trois poèmes ci-dessous répresentent bien ce que nous venos de dire...

                                                                                                                         Andrea Ferraz

Spleen
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

— Charles Baudelaire

Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,
Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide!
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!

— Charles Baudelaire

L'Horloge

Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: «Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! — Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!

Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; Souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!»
— Charles Baudelaire



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