lundi 21 décembre 2015

[Marília Lage] Angoisse



Angoisse

Stéphane Mallarmé

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l’incurable ennui que verse mon baiser:
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts:
Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un coeur que la dent d’aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
Stéphane Mallarmé

[Marília Lage] Lettre


Lettre

Paul Verlaine

Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins
Impérieux (j’en prends tous les dieux à témoins),
Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume
En pareil cas, et vais, le cœur plein d’amertume,
À travers des soucis où votre ombre me suit,
Le jour dans mes pensers , dans mes rêves la nuit,
Et la nuit et le jour, adorable Madame !
Si bien qu’enfin, mon corps faisant place à mon âme,
Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,
Et qu’alors, et parmi le lamentable émoi
Des enlacements vains et des désirs sans nombre,
Mon ombre se fondra pour jamais en votre ombre.
En attendant, je suis, très chère, ton valet.
Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,
Ta perruche, ton chat, ton chien ? La compagnie
Est-elle toujours belle, et cette Silvanie
Dont j’eusse aimé l’œil noir si le tien n’était bleu,
Et qui parfois me fit des signes, palsambleu !
Te sert-elle toujours de douce confidente ?
Or, Madame, un projet impatient me hante
De conquérir le monde et tous ses trésors pour
Mettre à vos pieds ce gage – indigne – d’un amour
Égal à toutes les flammes les plus célèbres
Qui des grands cœurs aient fait resplendir les ténèbres.
Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi !
Par Marc-Antoine et par César que vous par moi,
N’en doutez pas, Madame, et je saurai combattre
Comme César pour un sourire, ô Cléopâtre,
Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser.
Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer,
Et le temps que l’on perd à lire une missive
N’aura jamais valu la peine qu’on l’écrive.
Paul Verlaine, Fêtes galantes, 1869

[Andrea Ferraz]Claire de lune par Verlaine et par Débussy

Claire de Lune par Verlaine et par Débussy

Claire de Lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Paul Verlaine (1869)










[Andrea Ferraz] L'héritage des poètes maudits

L’héritage des poètes maudits

Peu importe si on est chrétiens, athées ou pagaïns, à partir du moment où on lit les oeuvres, les beaux poèmes des poètes maudits, on est obligé à s’emparer de prendre conscience de notre côté obscur, de nos angoisses et de nos faiblesses.

Les Fleurs du Mal (1857- prémière édition) c’est le chef d’oeuvre répresentant la lutte entre Dieu et Satan, entre l’aspiration vers l’Idéal et la beauté et la rencontre de l’ennui, de la détresse morale et du spleen. Le spleen, cette malaise moderne comme le stress et la dépression, apparaît au XIXe siècle avec la modernité et les changements que cette période emporte. Il exprime un péssimisme existentiel et la défaite de l’Idéal. C’est un état morbide. L’homme moderne est angoissé par le manque de sens dans la vie et du travail. Comme Baudelaire a écrit dans le poème Au lecteur, le monde est un enfer.

Si les naturalistes ont su dénoncer l’inégalité sociale et la misére matérielle et morale, les symbolistes ont su dénoncer l’hypocrisie et la désillusion, les maladies de l’esprit. Il faut être absolumment moderne... profiter des révolutions politiques, scientifiques et industrielles avec toutes les malaises qu’elles emportent, soient le stress, le spleen ou la dépression.

La poésie baudelairienne produit l’effet de nos attraper dans une sorte de piège délicieuse qui donne la sensation ambigüe de proximité avec le lecteur en même temps que produit la confrontation de la solitude. On est condamné à vivre comme dans une prision d’un enfer sans issue. Il y a la présence de l’hallucination, la pression du temps qui passe pendant qu’il ne peut rien faire.

Les trois poèmes ci-dessous répresentent bien ce que nous venos de dire...

                                                                                                                         Andrea Ferraz

Spleen
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

— Charles Baudelaire

Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,
Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide!
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!

— Charles Baudelaire

L'Horloge

Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: «Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! — Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!

Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; Souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche! il est trop tard!»
— Charles Baudelaire



Libânia Augusto Nunes de Sá - Le Bateau Ivre.


Libânia Augusto Nunes de Sá - Colloque sentimental


Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne ? 
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?

- Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? 

- Non. - Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Verlaine: Colloque sentimental (1869)


Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres

Fête galantes de Verlaine (1869)


Le Bateau ivre
Arthur Rimbaud

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées
Moi l'autre hiver plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,
L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelque fois ce que l'homme a cru voir !
J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très-antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !
J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !
J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulement d'eau au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés de punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...
Presque île, balottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur,
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !
J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ? -
Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons

(Arthur Rimbaud)


dimanche 20 décembre 2015

[Bárbara Mano] Un dialogue entre la poésie et la peinture au XIXème siècle

Au XIXème siècle, il y a eu le développement de différents courants artistiques engagés aux thèmes de la modernité ainsi qu'aux bouleversements politiques, sociaux et culturels. Malgré la variété des pratiques artistiques mises en scène à cette époque, il est possible d'établir un dialogue entre des diverses formes d'expression, notamment entre l'estétique symboliste dans la poésie et celle de l'impressionisme dans la peinture. On reconnaît ce rapport non seulement dans les thèmes représentés par des artistes, mais aussi dans les portraits des poètes et les scènes des cercles sociaux présentés par les peintres. Voici donc une série de tableaux peints au XIXème siècle et exposés actuellement au Musée d'Orsay à Paris.

Un coin de table (par Henri Fantin-Latour)

Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Un coin de table 
1872
Huile sur toile
H. 160 ; L. 225 cm
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski


Un coin de table est un portrait de groupe tout autant qu'un témoignage sur l'histoire littéraire du XIXe siècle, du mouvement poétique du Parnasse en particulier. A l'extrémité d'une table, plusieurs hommes sont réunis après un repas. Trois sont debout, de gauche à droite : Elzéar Bonnier, Emile Blémont, Jean Aicard. Cinq sont assis, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d'Hervilly, Camille Pelletan. Tous sont vêtus de noir sauf un, Camille Pelletan, qui n'est pas poète comme les autres, mais un homme politique. Emile Blémont distingué par sa position centrale acquiert le tableau qu'il offre au Louvre en 1910. Deux figures au moins manquent : Charles Baudelaire, disparu en 1867, et auquel le tableau devait initialement rendre hommage, et Albert Mérat qui ne souhaitait pas être représenté en compagnie des sulfureux Verlaine et Rimbaud et fut, dit-on, remplacé par un bouquet de fleurs.


Le format de la peinture, jugé trop important par les contemporains, fut critiqué : "Qui a bien pu conseiller à M. Fantin-Latour de donner à son Coin de table des proportions épiques et monumentales?... il y a, entre les dimensions ambitieuses de la toile et le sujet, une contradiction qui, à la longue, devient irritante".

Hommage à Delacroix (par Henri Fantin-Latour)

Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Hommage à Delacroix
1864
Huile sur toile
H. 160 ; L. 250 cm
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski


Visitant les galeries du musée du château de Versailles en juillet 1838, Baudelaire découvre Delacroix et la toile La Bataille de Taillebourg. C'est le début d'une grande passion pour l'oeuvre romantique et colorée du "plus suggestif de tous les peintres". Dans le Salon de 1846, il consacre tout un chapitre au "vrai peintre du XIXe siècle". Lorsque le 13 août 1863, le maître, l'ami qu'il admirait tant s'éteint, Baudelaire en conçoit un véritable désespoir.

L'admiration que l'auteur des Fleurs du mal porte à Delacroix témoigne du respect accordé au peintre par les artistes qui vont incarner la modernité dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi Henri Fantin-Latour réalise, un an après la disparition de Delacroix, ce portrait collectif destiné à lui rendre l'hommage qu'il n'avait pas reçu de son vivant.

Autour d'un portrait de Delacroix, réalisé d'après une photographie prise dix ans plus tôt, la scène réunit hommes de lettres et artistes. On peut notamment reconnaître Fantin-Latour lui-même, en chemise blanche et la palette à la main, James Whistler debout au premier plan, Edouard Manet, les mains dans les poches, et bien sûr Baudelaire, assis à droite, le visage crispé.

Paul Verlaine (par Eugène Carrière)

Eugène Carrière (1849-1906)
Paul Verlaine
1891
Huile sur toileH. 61 ; L. 51 cm
Paris, musée d'Orsayacquis avec la participation de la Société des Amis du Musée d'Orsay, 1910
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Dans les années 1880 et 1890, Carrière fit des portraits intimistes de personnalités qu'il fréquentait dans les cercles symbolistes, les milieux politiques de gauche, ou les milieux littéraires. Il peint ainsi le romancier Alphonse Daudet en 1891, ou Paul Verlaine, dont l'oeuvre, mais aussi la personnalité tourmentée furent très importantes pour la génération des artistes symbolistes.

Carrière avait rencontré Verlaine à l'hôpital Broussais en 1890, et la légende veut qu'il n'y ait eu, pour ce portrait, qu'une unique séance de pose. Le visage qui émerge comme un masque ou une tête d'expression est une caractéristique des "portraits psychologiques" de Carrière, et, loin des portraits mondains ou officiels, il traduit le génie tourmenté de son sujet. L'indétermination des fonds sombres sur lesquels surgissent le visage et parfois les mains des modèles ont justifié des rapprochements stylistiques avec la sculpture contemporaine de Medardo Rosso et le "non fini" d'Auguste Rodin.

Le portrait de Paul Verlaine est l'un des plus célèbres portraits de Carrière, il fut plusieurs fois exposé du vivant du peintre, à Paris et à Bruxelles. Carrière l'avait dédicacé et donné à Verlaine - la dédicace se lit en bas à gauche du tableau "au poëte Verlaine, Eugène Carrière", et celui-ci lui consacra, en retour, un sonnet publié dans ses Oeuvres posthumes. Le tableau fut largement diffusé en gravure par l'imprimeur Lemercié après la mort du poète, survenue en 1896.

Stéphane Mallarmé (par Edouard Manet)

Edouard Manet (1832-1883)
Stéphane Mallarmé
1876
Huile sur toileH. 27,5 ; L. 36 cm
Paris, musée d'Orsayacquis avec le concours de la Société des Amis du Louvre et D. David Weill, 1928
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Ce portrait peint en 1876 date de la publication de l'Après-midi d'un faune de Mallarmé, un long poème illustré de gravures de Manet. L'année précédente, le peintre et l'écrivain s'étaient déjà rapprochés pour la publication d'une traduction illustrée du Corbeaud'Edgar Allan Poe.

Leur amitié remonte à 1873 et, pendant presque 10 ans, les deux hommes se rencontrent quotidiennement pour discuter peinture, littérature, nouvelle esthétique mais aussi chats et mode féminine. Comme il l'avait fait avec Zola en 1866, Manet entreprend ce portrait en remerciement pour la publication d'un article paru dans une revue anglaise. Mallarmé enseignait l'anglais au Lycée Condorcet. Dans cet article le poète avait fait l'éloge de la peinture de Manet et placé le peintre à la tête du mouvement impressionniste.

Ce dernier le fait poser dans son atelier et choisit une toile de petit format pour peindre son modèle au naturel dans une attitude décontractée. Appuyé sur des coussins, le poète dont une main est glissée dans la poche de son paletot, s'appuie sur une liasse de papier, une allusion peut-être à l'article récemment publié ou à un autre travail d'écriture. Il fume l'un de ces gros cigares qui donnent à la main un geste élégant.

Source des tableaux et des commentaires des oeuvres: 
http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/peinture.html 



(Bruno RAMALHO - "Rimbaud et la Modernité")

(http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2009/02/16/la-modernite-et-ses-metastases-une-lecture-de-nous-autres-mo.html)

Rimbaud et la Modernité

Rimbaud veut créer chez l’artiste ou le poète la connaissance de l’importance d’être attentif à ce qui se passe autour de soi, dans ce qui concerne les hommes, ses habitudes et sa comprehension du monde et du soi comme sujet. Voilà la modernité. Celle-ci malgré son caractère transitoire et fugitif a quelque chose qui se repète. Comme les saisons, la vie va et vient dans des mouvements qui se ressemblent dans leur essence. Cette essence-là c’est bien l’éternel, ce qui reste, ce qui va toujours encombrer l’homme, ce qui va quand même guider l’homme dans sa recherche du bonheur, de l’équilibre. Le poète vient comme un voyant, quelqu’un qui se ressemble au prophète. Celui-ci s’en sert des élèment de la réalité pour dennoncer l’éternel, pour montrer qu’il y a d’autres mondes au-delà de celui qu’on connait et qui tant nous limite. Le poète, comme le prophète, a pour rôle apporter de la vie chez le recepteur. Son grand atout ce sera trouver les bonnes combinaisons pour attirer et transformer le lecteur ou recepteur, lui enlever les parties aveugles de son âme. On voit cet effort-là chez Baudelaire, avec sa révolte, son incompréhension de la réalité telle comme elle est acceptée par la foule. Il disait « donne-moi de la boue et j’en ferai de l’or ». Alors le poète n’est pas limité aux circonstances ou au monde réel, malgré son appuie sur les symboles de celui-ci. Le poète est celui qui a la parole, qui crée et déconstruit des mondes.
(pastiche Bruno RAMALHO) À un voyant
La rue est bruyante des désirs
sincères dans leur férocité, ingénus
Sur la terrasse parmi les voyants
J’en choisi un lui percer le coeur
Pauvre enfant qui ne connaît que
l’amour de la passion et du désir
Qui y trouve tel plaisir que la mort
lui est belle, qui les entendra ?
Ne sachant que naître et mourir
c’est bien la nature du juir

(Bruno RAMALHO pastiche "À une passante", Baudelaire)
(Bruno RAMALHO) A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,      
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verraije plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peutêtre !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !


Charles Baudelaire, « A une passante »,  Les Fleurs du mal, 1857. 

samedi 19 décembre 2015

[Renilda Fátima de Oliveira]: Es-tu brune ou blonde?

Es-tu brune ou blonde?

Es-tu brune ou blonde ?
Sont-ils noirs ou bleus,
Tes yeux ? 
Je n'en sais rien mais j'aime leur clarté profonde,
Mais j'adore le désordre de tes cheveux.

Es-tu douce ou dure ?
Est-il sensible ou moqueur,
Ton coeur ?
Je n'en sais rien mais je rends grâce à la nature
D'avoir fait de ton coeur mon maître et mon vainqueur.

Fidèle, infidèle ?
Qu'est-ce que ça fait,
Au fait
Puisque toujours dispose à couronner mon zèle
Ta beauté ser de gage a mom plus cher souhait.



Paul Verlaine

[Renilda Fátima Oliveira] Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour


Ô mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour

Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour 
Et la blessure est encore vibrante, 
Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour.

Ô mon Dieu, votre crainte m'a frappé 
Et la brûlure est encor là qui tonne, 
Ô mon Dieu, votre crainte m'a frappé.

Ô mon Dieu, j'ai connu que tout est vil 
Et votre gloire en moi s'est installée, 
Ô mon Dieu, j'ai connu que tout est vil.
Noyez mon âme aux flots de votre Vin, 
Fondez ma vie au Pain de votre table, 
Noyez mon âme aux flots de votre Vin.
Voici mon sang que je n'ai pas versé, 
Voici ma chair indigne de souffrance, 
Voici mon sang que je n'ai pas versé.

Voici mon front qui n'a pu que rougir, 
Pour l'escabeau de vos pieds adorables, 
Voici mon front qui n'a pu que rougir.

Voici mes mains qui n'ont pas travaillé,
Pour les charbons ardents et l'encens rare, 
Voici mes mains qui n'ont pas travaillé.

Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain, 
Pour palpiter aux ronces du Calvaire,
Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain.

Voici mes pieds, frivoles voyageurs, 
Pour accourir au cri de votre grâce, 
Voici mes pieds, frivoles voyageurs.

Voici ma voix, bruit maussade et menteur, 
Pour les reproches de la Pénitence,
Voici ma voix, bruit maussade et menteur.

Voici mes yeux, luminaires d'erreur, 
Pour être éteints aux pleurs de la prière, 
Voici mes yeux, luminaires d'erreur.


Hélas ! Vous, Dieu d'offrande et de pardon, 
Quel est le puits de mon ingratitude,
Hélas ! Vous, Dieu d'offrande et de pardon,

Dieu de terreur et Dieu de sainteté, 
Hélas ! ce noir abîme de mon crime, 
Dieu de terreur et Dieu de sainteté,

Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur, 
Toutes mes peurs, toutes mes ignorances,
Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,


Vous connaissez tout cela, tout cela, 
Et que je suis plus pauvre que personne, 
Vous connaissez tout cela, tout cela,

Mais ce que j'ai, mon Dieu, je vous le donne.



Paul Verlaine